Quelques enseignements du tracking ce week-end

21 mai 2024

Aguado 24 Nietzsche Has

Photo Niezsche Has : scoopdyga.com

La maîtrise de Losange

Quatre des quinze dernières éditions de la Racing TV Grande Course de Haies d’Auteuil ont été remportées en moins de 6 minutes, dont les deux dernières. Losange Bleu finit tout près de ce plancher à 5’58’’9 et le record, sur cette période, demeure celui établi un an plus tôt par le champion Thélème en 5’51’’2. Le poids de la course a pesé presque exclusivement sur les épaules de Losange Bleu, comme d’ailleurs dans le Prix Hypothèse (Gr3), disputé sur 3 900 mètres en mars et en terrain lourd. Ce jour-là, il devançait également l’attachante July Flower, qui a encore fourni un formidable effort final pour terminer 3e, devant les chevaux qu’elle avait déjà battus dans l’Hypothèse en prenant la 2e place. Ce jour-là, elle avait refait près de 4/10e sur le gagnant entre l’avant-dernière haie et le poteau. Ici, elle a mis le même temps que lui à 1/100e près, soit 29’’3, tandis que le 2e Hewick a fait afficher 29’’2 sur cette dernière portion de 376m.

Losange Bleu a maîtrisé sa course.

 

Un Ferdinand Dufaure au sprint

La façon dont l’AQPS Kolokico a remporté le Prix Ferdinand Dufaure 2024 est très différente de ce qu’a accompli Juntos Ganamos un an plus tôt. En attendant la ligne d’en face pour se glisser le long de la corde et filer au poteau, le nouveau lauréat a en fait tout misé sur sa capacité à sprinter. C’est ainsi qu’il a pu boucler le dernier kilomètre en 1’9’’5 seulement, contre 1’10’’6 pour son prédécesseur. Pourtant, sur un terrain similaire (4,0 en 23, 4,1 cette année), le gagnant de 2023 a réalisé un temps global de 4,3’’ meilleur que celui de dimanche.

Malgré sa course en tête, Karre d’As est arrivée en face en moins de 4’20, alors que l’an dernier, Juntos Ganamos y était en moins de 4’15’’, ceci expliquant largement son incapacité à afficher un dernier kilomètre à la hauteur.

Il a prouvé plus tard qu’il était un sauteur de très haut niveau, même s’il n’a pu mener sa tâche à bien dans le Grand Steeple cette fois.

Deuxième de Kolokico, Kador de Ciergues a lui aussi attendu et bouclé le dernier kilomètre à toute allure (1’10’’4), car ce fut vraiment une course d’attente, sans pour autant que l’animatrice ne réussisse à mettre tout le monde dans le rouge. Le gagnant de l’édition 2023 était parti un kilomètre plus tôt et sur les deux derniers mille mètres, il a atteint une réduction kilométrique de 1’11’’5 contre 1’12’’1 pour son successeur, qui a en revanche flirté à la fin avec les 60km/h, un fait rare dans un steeple de 4ans.

Les courses préparatoires s’étant déroulées dans des terrains plus souples, on ne pourra observer une évolution pertinente. On est passé, du Fleuret au Ferdinand Dufaure en passant par le Jean Stern, tous disputés sur 4 400m, de 1’25’’3 à 1’19’’6 puis 1’14’’7.

 

Des sauteurs de 3 ans extraordinaires

Les courses de 3ans sur les haies d’Auteuil sont d’un niveau exceptionnel. C’est pour cette raison que les investisseurs britanniques et irlandais se disputent impitoyablement leurs meilleurs protagonistes. C’est le résultat d’une sélection très rigoureuse en amont, à l’issue de laquelle de nombreux chevaux ne peuvent passer le cut.

On sait aussi que la piste d’Auteuil, depuis qu’elle a été drainée, est devenue plus rapide que par le passé, malgré l’arrosage, dont l’usage doit rester modéré.

Les chronos des Prix Aguado et Sagan, les deux courses de Groupe 3 des 3ans du week-end du Grand Steeple, sont à cet égard instructifs. Le terrain est resté le même sur les deux jours, à 4,1 (très souple). Samedi, néanmoins, Shika du Berlais et consorts sont allés plus de quatre secondes plus vite que Nietzsche Has et les autres poulains. Sans décordage (7 mètres au tournant de Passy, samedi seulement), les mâles ont pourtant parcouru environ 30 mètres de moins. Le plus gros écart a été creusé par Née en Bleu dans le Prix Sagan, des 3 000 aux 2 000 mètres (1’9’’ contre 1’14’’4), c’est-à-dire à la première moitié du parcours de 3 500m. La seule à passer sous les 1’10’’ au kilomètre dans la course sera Shika du Berlais, dans la dernière portion, en 1’8’’6. Les temps de passage que la 2e Sobriquette sont aussi remarquables, et ce sont de très bonnes pouliches, à l’évidence.

Chez les mâles, environ 24h plus tard, les temps globaux sont donc moins impressionnants. Toutefois, les dernières portions sont éblouissantes : 1’7’’6 pour Nietzsche Has, 1’8’’1 pour le 2e Rooster Crowing, animateur de la course (et meilleur temps sur plat en 18’’03 contre 18’’08 pour le gagnant, mais 17’’99 pour Shika du Berlais la veille !), et 1’8’’4 pour le 3e Kivala du Berlais.

Intéressons-nous à présent aux rapports Tracking des quatre dernières éditions du Aguado. La plus rapide a été remportée par Losange Bleu en 4’5’’6 en 2022 (terrain à 4,1). Le meilleur dernier km est celui de Jigme l’année dernière, en 1’6’’4, avec 1’6’’9 pour le 2e Léon du Berlais. Aucun autre n’a fini à cette vitesse depuis 2020 dans cette course, alors que le temps global affiché par Jigme est de 4’5’’9 (terrain à 4,0), c’est-à-dire presque aussi vite que Losange Bleu un an plus tard.

Ce sont des chronos extraordinaires, et les pouliches, on l’a vu, ne sont pas en reste, cette année. On voit régulièrement des courses de 3ans sous les 1’11’’ au kilomètre, désormais, ce qui était excessivement rare il y a encore une dizaine d’années. On approche désormais la réduction kilométrique de certaines éditions, pas forcément disputées en terrain lourd (Holdthasigreen en terrain souple dans le Cadran 2019 : 1’10’’5)

 

Une Pensée pour l’Amiral

Pensée du Jour est une pouliche que certains trouvent attachante, d’autres moins. Son brio du début de saison dernière avait convaincu les premiers. Les limites de sa carrière classique avaient dissuadé les autres.

Toutefois, la représentante des Wertheimer, qui en ont hérité de la famille Wildenstein en acquérant ses actifs hippiques en début d’année, donne raison à l’amiral Rous, « fondateur du turf ». Ce monstre sacré du Jockey Club original établit il y a plus de cent cinquante ans l’échelle globale des poids pour âge, une table établissant les poids que devaient porter des concurrents de différents âges pour lutter à armes égales. Les écarts évoluent au fil du temps et selon les créneaux de distance.

Selon cette échelle, actualisée et publiée par l’European Pattern Committee (et revisitée il y a quelques années par les institutions hippiques pour mieux coller à l’évolution favorable des performances des 3ans), la Pensée du Jour qui remporta le Prix Pénélope en 2023 au 1er avril de ses 3 ans aurait dû porter 19 livres, ou 8,5kg, de moins que son double d'un an plus âgé si elle l'avait affronté dans le Prix Corrida.

Cela correspond à 8,5 longueurs, soit justement l’écart qui a séparé lundi La fille de Camelot de la dernière du lot, et qui s'est traduit au chronomètre par une différence d’environ 1,36 seconde.

Dans le « Pénélope » 2023, Pensée du Jour, qui avait déjà gagné la course pratiquement de bout en bout, avait fait afficher 2’14’’3 sur un terrain à 3,6. Treize mois plus tard, toujours avec 57kg à porter mais sur un terrain à 3,4, la pensionnaire d’André Fabre a fait afficher 2’12’’7, soit une différence de 1,6 seconde. Autrement dit, il y aurait eu lutte, et l’Amiral Rous estimait donc correctement sous Napoléon III un écart constaté sous Macron.

Pourtant, le monde a bien changé depuis, et celui du Turf n’a pas échappé à la règle, mais pour fantaisiste qu’il puisse paraître, ce petit calcul a quelque chose de rassurant.